Dawn avait très faim... mais il ne mangeait pas !

C'était un endroit particulièrement bizarre. Des dédales de couloir affreusement mal éclairé, des relens d'urines (mais de l'urine de quoi ?), d'étranges ombres dessinées contre les murs. Dawn était à l'aise, sa cigarette pendant au bout de ses lèvres. Il marchait dans l'étroit couloir du sous-sol gris comme la misère de sa vie.

Ireland marchait. Enfin, ce matin, elle s'était mise à marcher. Emergeant d'un sommeil profond alors qu'il venait de faire un rêve où il était en prise avec deux poubelles géantes (dont l'une avait la tête de Staline, ne vous posez pas de questions), Seth avait poussé un cri d'admiration depuis le salon où il prenait son petit-déjeuner. Le cri de Seth pouvait se confondre avec un cri d'effroi et Dawn s'était précipité dans la cuisine, poussé par le courage et la faim, afin de rendre compte de ce qu'il se passait : Ireland marchait et Seth lui tournait autour, fasciné, poussant des petits cris admiratifs.

- Tu lui fais de l'effet, p'tite tête, avait dit Dawn mais il ne savait pas très bien s'il s'adressait à Seth (parce qu'il l'avait peut-être incité à la marche inconsciemment) ou à sa fille (parce qu'elle rendait Seth dingue de plaisir)

Dawn était aussi très heureux qu'elle sache marcher, parce qu'elle se contentait souvent de ramper et de s'écorcher les genoux sur le parquet moisi du salon. Il s'accorda un instant en tant que spectateur des progrès piétons d'Ire puis décida qu'il avait faim et s'était servi un plein bol de céréales au chocolat (avec un paquet entier de petits sablés, trois muffins, un chocolat froid, un café et six tartines de Nutella)

Là encore, il avait très faim. Son déjeuner remontait à une heure et demi déjà et ça ne lui ressemblait pas d'avoir faim aussi rapidement. Il se soupçonnait d'avoir un problème psychologique indétectable aux rayons laser et incurables par voie orale. C'aurait été dommage, quand même.

Il tira une bouffée de sa cigarette lorsqu'il entendit qu'on s'approchait. Quelqu'un ? Ici ? Dans cet immonde fatras de pisse de chat d'égoût ? C'était répugnant. Même ici, il n'avait pas la paix.

Maddison l'avait vu. Et elle l'avait suivi. Non sans dégoût, bien entendu. Cet être répugnant qui l'horrifiait tant... Il fallait qu'elle prévienne le directeur. Mais avant, il fallait vérifier si c'était vraiment ce qu'elle pensait. Enfin, elle l'avait bien vu mais elle n'était plus si sûre d'elle à présent. Peut-être juste un oiseau blessé. Mais les oiseaux n'ont pas de queue, et ne couine pas bêtement. Non. C'était bien un rat. Ou peut-être une souris obèse. Dès qu'elle le reverrait, Maddy serait sûre d'elle et irait prévenir le proviseur. Elle allait follement s'amuser dans le bureau à expliquer qu'elle avait vu un rat énorme dans les couloirs. Il fallait juste ne pas expliquer qu'elle l'avait suivi jusqu'au sous-sol, comme une mythomane. Elle entendit des pas approcher et recula d'un pas. Mais tu n'as pas à avoir peur voyons, c'est peut-être un élève qui cherche son rat... pensa-t-elle, ironiquement. Mais l'ombre s'approchait, un filet de fumée l'entourant. Prête à engueuler le jeune élève d'une voix plutôt froide, elle reconnut cette personne. Ce n'était pas vraiment un élève. Plutôt Dawn O'Hannigan. Elle repensa tout de suite à ce qu'elle portait, si elle avait l'air d'une clocharde. Un bermuda foncé, des tongs noires et un long débardeur bleu foncé, ses cheveux acajou détachés. Simple. Mais Maddison se sentait mal. Elle ne savait pas quoi dire à Dawn. Peut-être devait-elle l'ignorer et repartir. Elle soupira et murmura:

- Qu'est-ce que tu fais là?

Ni agressive, ni tendre. Juste polie et timide.

C'était Maddison.

Il s'était attendu à des élèves en quête de bonheur sexuel dans les sous-sols calmes et déserts ("Bouh !") ou une gamine qui voulait se cacher pour pleurer ou un merdeux pour fumer. Finalement, il était déçu que ce soit elle. Parce qu'il n'avait pas le pouvoir de lui dire : "Tu n'as rien à faire dans les couloirs du sous-sols à une pareille heure ! Ouste !" Il se contenta de la regarder et de penser qu'elle n'était pas aussi sexy que les jours précédents. Sa main était débandée et elle avait l'air hagarde. Est-ce qu'elle l'avait suivi ?

- Ce que je fais là ?

Il regarda sa cigarette, interdit.

- Mais... Je fume ! répondit-il sur un ton qui laissait penser que ça tombait sous le sens.

Et il haussa les épaules.

Maddison était déçue. Elle s'attendait plus à un "Je fais ce que je veux!". Elle baissa la tête et s'adossa contre le mur. Le rat pouvait aller se faire voir, à présent, elle l'avait bien oublié. Est-ce que Dawn avait pensé à elle depuis le jour où il l'avait laissée, seule, dans le parking souterrain? En tout cas, elle n'avait pensé qu'à lui mais ses pensées étaient confuses. Jusqu'à présent. Elle savait très bien ce qu'elle devait faire mais avait un peu peur. De sa réaction. Dawn avait l'air décidé. Peut-être ne l'aimait-il pas? Peut-être avait-il choisi de l'oublier, comme ses précédentes conquêtes... Maddy leva la tête vers lui, et lui dit, timidement:

- Je voudrais m'excuser pour ta veste... J'ai dû la salir en la jetant par terre alors tu peux me filer la note du teinturier, je pense que... J'ai eu tort, je n'aurai pas dû, Dawn....

Maddison n'osait plus lever la tête vers lui. Elle s'attendait à ce qu'il crie, hurle, frappe du poing contre les murs ou sur elle, qu'il se défoule complètement. Qu'il lui fasse reconnaître qu'elle n'avait pas eu raison, bien qu'il ait eu sa part de tort.

- Mais... Enfin, tu m'as blessée... Je sais pas ce qui m'a pris... Tu me...

*Pardonnes? Tu m'en veux toujours? Tu pensais à quoi ces derniers jours? C'est moi qui fait le premier pas alors que je déteste ça, je fais des efforts pour toi, mais pas toi...*

Coupable. Il se sentait coupable, au fond, de n'avoir pas pensé à elle. D'y avoir songé, si, mais de très loin. Il avait Ireland à gérer et Maddison lui était complètement sortie de la tête. Il tira une taffe de nouveau, ne sachant pas s'il devait laissé paraître son embarras ou s'il devait lui faire croire qu'il s'en foutait. Il s'appuya contre le mur à l'aide d'un coude, celui qui soutenait sa main à la clope.

- Je l'ai déjà nettoyée.

Il fit un signe en direction de la veste qu'il portait justement. Il était vexé qu'elle ait mal pris son geste d'attentin. Au fond, ça lui apprendra à être amoureux.

- J'aurais pas dû... faire ce que j'ai fait.

Il en avait trop dit. Il n'aimait pas s'excuser, reconnaître qu'il avait tort mais c'était pourtant le cas. Il avait eu tort de s'emporter comme ça et de la laisser tomber alors qu'il songeait depuis le départ à la ramener. Elle se demandait ce qu'il attendait de lui. Et il se posait la même question de sa part. Que voulait-elle qu'il fasse à présent ? Qu'il pardonne son geste irrespectueux ? Qu'il la demande en mariage (Grands Dieux, non !) ? Qu'il admette la séparation comme nécessaire ? C'était ce qu'il voulait. Il voulait se séparer. Parce que, sans ça, il la ferait encore souffrir, même s'il ne le voulait pas. Il la ferait souffrir et il n'avait pas envie de souffrir en retour.

Maddison ne bougeait pas d'un poil, toujours calée contre le mur. En fait, elle était plus embarassée et ne savait que faire. Se jeter à son cou? L'ignorer et partir? Lui faire une bise? Elle détestait faire le premier pas. Parce qu'elle allait rougir et bafouiller, comme une écolière timide qui fait son exposé au tableau, devant toute sa classe. Et elle ne savait pas si elle devait lui pardonner de lui avoir jeté la vérité à la gueule. Souffrir à nouveau, elle en était capable et ça ne la dérangeait pas. Mais se sentir coupable, Maddy ne le supporterait pas. Elle venait de s'excuser et ça sufisait, elle n'avait pas tous les torts. Dawn non plus. Il avait été franc, tout simplement.

- Tu as été sincère, je connais le fond de tes pensées maintenant... murmura-t-elle en détournant le regard.

La fumée de sa clope l'empêchait de se concentrer. Maddison ne fumait que très rarement mais là, elle en avait envie. Elle se tiendrait, pour une fois. Dès qu'il partirait, elle irait dehors tranquillement, et bousillerait un paquet de clopes. Calmement, elle posa ses deux mains à plat contre le mur et inspira légèrement. Sa plaie à la main gauche avait guéri, il n'y avait plus qu'une longue cicatrice blanche, presque indolore. Le crépi du mur s'enfonçait lentement dans ses paumes, au fur et à mesure qu'elle appuyait ses mains contre le mur, pour renoncer à la suprême tentation d'une cigarette. Cette envie la démangeait mais elle devait y renoncer. Et penser à autre chose. Qu'attendait Dawn de Maddy?

- Tu as quelque chose à ajouter... ? demanda-t-elle en se disant qu'elle était bien bête de poser cette question.

- Oui.

Il devait lui dire qu'il n'avait plus de temps, il devait lui dire qu'il serait moins présent maintenant qu'il avait sa fille avec lui, il devait lui dire qu'il était quelqu'un de con comme un balai, il devait lui dire tout ça. Il le devait pour elle, mais aussi pour lui, parce qu'il savait qu'il se sentirait encore plus coupable de lui laisser croire que tout allait mieux alors que c'était sur le point d'empirer considérablement. Est-ce qu'elle suporterait de le laisser s'en aller lorsqu'il serait appelé aux côtés de sa gamine ? Est-ce qu'elle supporterait de voir cette petite tête brune auprès de lui, câline, affectueuse, comme le vestige déambulant d'un passé détruit dont il ne lui avait pas faire part auparavant ? Il était sûr d'une chose : s'il lui posait la question, elle répondrait que oui. Elle dirait qu'elle serait capable de supporter et de faire des sacrifices mais il n'en était pas si sûr. Lui n'aurait jamais pu. Il n'avait pas pu. Camelia en était la preuve. Pour Maddy, il avait minimisé ses sentiments, pour qu'elle se sente plus grande et plus aimée que cette femme d'avant. Mais il savait qu'il avait aimé Camelia. Il était resté dix-huit mois à Hong Kong parce qu'il voulait rester à ses côtés. Il avait tout tenté pour arrêter de bouger et rester avec cette fille qu'il voulait épouser. Puis il l'avait lâché parce qu'il était incapable de renoncer. Et elle avait attendu qu'il revienne mais c'était trop tard. Maddy non plus n'attendrait pas indéfiniment qu'il se libère pour elle.

- Je peux te poser une question ?

Il marqua un silence, hésitant sur la forme de la question à adopter. Réfléchissant un moment, il finit par demander :

- Est-ce que tu supporterais de me voir élever un enfant qui n'est pas le nôtre ?

Il voulait rompre mais il n'avait pas l'intention de réfléchir à sa place. Il voulait qu'elle lui réponde et qu'il sache à quoi s'en tenir.

Maddison asquiesça lorsque Dawn lui demanda s'il pouvait poser une question. Elle s'attendait au pire. Devait-elle lui dire qu'elel se sentait bien près de lui? Qu'elle n'avait jamais été aussi bien qu'avec lui? Qu'elle l'appréciait vraiment? Ce serait du chantage... Elle ne savait pas si elle l'aimait, mais ce qui était sûr, c'est qu'elle ferait n'importe quoi pour lui. N'importe quoi. Maddy l'écouta poser sa question et savait pertinement ce qu'il attendait. Dawn s'attendait à ce qu'elle dise "Mais oui bien sûr..." ou peut-être un "Nan! Impossible! Je déteste les mioches, et en plus, c'est pas le mien, c'est fini entre nous, ne me parle plus jamais!" Des réponses bêtes. Maddy se laissa glisser contre le mur, se retrouvant accroupie par terre, la tête entre ses mains fines, les sourcils froncés, les lèvres pincées, oubliant l'odeur de la clope envahissant le couloir.

- Dawn, je pense être quelqu'un de sensée, de posée. Dis-moi si je me trompe bien sûr... Et je suis aussi tolérante, j'en suis persuadée.

Maddison leva la tête vers lui, essayant de lire ses pensées. Impossible pour elle.

- Que penses-tu de tout cela? Tu ne veux pas que l'on reste ensemble? Qu'on essaye de... Je ne sais pas, en fait, tu veux quoi, toi, Dawn? Qu'est-ce que tu penses qui serait le mieux pour toi? Et pour Ireland par la même occasion...

Elle était parvenue à détourner la réponse qu'il attendait; un bon point pour elle. Si elle était quelqu'un de sensée, de posée, lui, il ne l'était pas et de très loin. Il cherchait constamment des excuses mais il n'en avait pas. Il était immature et l'arrivée de cette petite dans sa vie tendait à le rendait plus grand, plus adulte mais tout ça l'amoindrissait dans chacun de ses mouvements. Il ne se reconnaissait plus. Maddison pouvait-elle le retrouver, elle ?

- Je ne sais pas quoi penser... Je crois que je ne sais même plus penser ! Du moins, pas correctement. Je ne veux rien du tout de nous. Si on se sépare, j'aurais... cette... impression d'échec et de travail mal achevé. Si on reste ensemble, je vais...

Qu'allait-il se passer s'il restait avec Maddison ? Est-ce qu'il était alors si stupide pour ne pas voir qu'elle était sa bouée de secours ; ce quelque chose qui maintient à la surface quand le reste du corps s'efforce de sombrer au beau milieu des mers du Pacifique sud (Cette idée de Pacifique - qui comprenait dès lors requins, dangers, pirates, épaves - lui inspirait une bonne chasse au trésor, ce qui, en soi, était la seule chose qu'il désirait. Mais il ne pouvait pas partir, au moins pour Seth.) Maddison le retenait à l'extérieur de l'eau et c'était une bonne chose. Une très bonne chose. Parce que sans ça, il perdait l'esprit et se laisserait entraîner dans les profondeurs par les tentacules d'un poulpe géant au lieu de s'aider tout seul et de nager jusqu'à la côte (d'une île déserte, il va de soi.)Mais il avait peur que tout cela ne dure pas. Qu'elle s'essouffle à vouloir le remonter quand il persistait à couler et qu'elle finisse par le lâcher (et puis, il se noierait et ce serait sa fin du monde.) Ou bien, elle en aurait tellement marre qu'elle le noierait tout simplement pour achever son supplice. Ce serait la fin du monde.

- Ne me lâche pas, Maddy ! se mit-il à crier alors qu'il réalisait tout juste que cette noyade n'était que le fruit de son imaginaire blessé.

Il secoua la tête et se reprit en bafouillant :

- Désolé. Je veux dire... Renonce tout de suite à m'aider ou bien ne me lâche pas jusqu'à la fin.

Il tira une nouvelle bouffée de cigarette en prenant l'air le plus blasé du monde, ce pour quoi il avait un certain don (Probablement qu'il était constamment blasé, le pauvre gars.), essayant d'oublier qu'il avait été taré de lui hurler dessus de ne pas le lâcher alors qu'elle n'avait pas suivi un instant le fil de sa pensée fantaisiste.

Maddison sursauta lorsque Dawn hurla de ne pas le lâcher. Elle faillit hurler à son tour, de terreur, elle ne s'était pas attendue à un tel cri. Elle resta bouche bée un instant avant de se relever, tout en s'aidant d'une caisse, à côté d'elle. Tout en fixant Dawn d'un air ahuri, elle épousseta lentement son bermuda noir et son débardeur bleu. Maddy hésitait franchement, car elle avait plusieurs options sous la main: se jeter au cou de Dawn, lui hurler dessus, éclater de rire, pleurer, partir. Quite à choisir, elle aurait bien voulu rire mais elle avait peur de le contrarier. Timidement, elle lui sourit et s'approcha de Dawn. Ni à cinq metres, ni à cinq centimètres. Juste une distance plutôt raisonnable. Elle glissa lentement une main dans ses cheveux, histoire d'avoir l'air décontracté et sûre d'elle alors qu'elle choisissait les mots les plus corrects pour exprimer le fin fond de ses pensées.

- Dawn, je vois pas pourquoi je te laisserai tomber! Je... Je ne peux pas te lâcher...

Maddison venait d'avouer le plus dur. Parce qu'elle avait réalisé qu'elle ne pouvait pas le lâcher, il comptait trop pour elle. Et si elle devait accepter Ireland avec eux, elle le ferait sans sourciller, parce qu'elle ne voulait pas le perdre si vite. Cela aurait été trop bête de sa part. Bien qu'elle ne le connaisse depuis peu de temps, Maddy n'arrivait plus à l'oublier. Et elle était seule ici. Seule parmi tous ces Japonais qui se moquaient de son accent lorsqu'elle baragouinait quelques mots japonais, chinois, et même anglais. Et si Dawn décidait de la lâcher, elle partirait sûrement. Pourquoi rester ici? Seule, le croisant dans les couloirs, pensant à lui... Cela lui ferait mal au coeur et elle repartirait pour la France, ou pour l'Angleterre. Elle construirait autre chose, mais seule cette fois-ci. Ou avec sa meilleure amie. Maddison ne voulait pas partir si vite, ne voulait pas tout gâcher. Si elle avait une chance de retenter avec Dawn, elle la saisirait, même du bout des doigts.

- Si tu veux que je te suives, je te suivrai, Dawn. Je ne sous-entends pas que je serai ton chien et que je repasserai tes chemises, loin de là, ajouta-t-elle en souriant. Mais je veux être là pour toi, et si je te le dis maintenant, c'est parce que... Je veux pas te perdre, je veux vraiment t'aider... J'ai besoin de toi!

Maddison tendit doucement sa main pour frôler la joue de Dawn mais laissa tomber mollement son bras le long de son corps, de peur que Dawn se rebiffe. Elle ne lui avait peut-être pas tout dit ce qu'elle pensait, mais elle aurait tout le temps de lui dire lorsqu'ils.... Lorsqu'ils seraient peut-être ensemble si Dawn l'acceptait. Tout en se mordant les lèvres, preuve d'anxiété, Maddy tentait de rester calme.

Maddison avait pris peur lorsqu'il avait hurlé et c'était pour le moins compréhensible. Il devrait essayer d'être moins fou à l'avenir et de lui donner de telles frayeurs. Elle venait juste de lui dire qu'elle ne voyait pas pourquoi elle le laisserait tomber mais il voyait, lui, tout un tas de raisons. Elle pouvait être lassée de passer après une morveuse. Elle pouvait tomber amoureuse d'un autre homme. Elle pouvait se rendre compte de l'étendue de ses défauts, jalousie, possessivité, froideur, caprice, calculateur, hautain, taciturne, fumeur, buveur, drogué, dragueur... Et elle pouvait simplement cessé de l'aimer. Elle pouvait aujourd'hui l'aimer plus qu'elle n'avait jamais aimé personne mais elle pouvait aussi bien arrêté du jour au lendemain parce qu'elle se rendra compte un matin qu'elle passe à côté de sa vie. Peut-être qu'elle voudrait avoir des enfants mais Dawn n'était pas prêt. Il acceptait Ire parce qu'il n'avait pas le choix. C'était sa fille, il l'avait faite, elle n'avait bientôt plus sa mère, il la prenait avec lui. Mais il n'en voulait pas d'autres. Maddison ne le ferait pas changer d'avis ou alors, très difficilement. Elle ne pouvait pas le lâcher. Maintenant. Mais après ?

Il hocha la tête gravement comme pour graver les paroles de sa petite amie dans sa mémoire. Elle le suivrai s'il le voulait. Elle ne repasserait pas ses chemises (et elle aurait du mal, d'ailleurs, parce qu'il n'en portait pas) Elle voulait être présente pour lui. Elle ne voulait pas le perdre. Elle voulait vraiment l'aider. Elle avait besoin de lui.

Elle ne mentait pas. Tout ce qu'elle lui disait sortait de son coeur, par amour et par besoin. Elle savait qu'elle était dans la sincérité, il le savait aussi. Mais les sentiments changeaient toujours. Camelia lui avait dit qu'il devrait prendre le risque de ne plus aimer demain pour mieux aimer aujourd'hui et il l'avait fait pour elle mais il n'y avait qu'à regarder où ça les avait mené. Dire que Dawn avait souhaité rencontrer la femme de sa vie - grande et très jolie, avec des cheveux bruns tenus en queue-de-cheval et qui porte le treillis - sur une pagode en Amazonie en train de héler les crocos. C'aurait été un genre de nana courageuse qui l'aurait suivi au bout du monde, non par amour pour lui, mais par amour de l'aventure. Une fois à terre, elle se serait écrié : "On repart, bébé !" Ils auraient eu des bébés, deux ou trois, qui seraient devenus aussi tarés qu'eux. Dawn avait du mal à croire qu'il rencontrait la femme de sa vie dans une école débile en plein milieu d'une île géante.

- Il vaut mieux qu'on s'oublie, Maddison.

Maddison approcha sa main de son visage mais elle laissa alors tomber son bras et il se dit qu'elle avait eu raison sans quoi il se serait échappé de sa tendresse. Il ne voulait pas rester avec elle, parce que cette histoire n'allait nul part et que c'était plus dur après que maintenant.

Maddison venait d'être blessée, plus que n'importe qui ne l'avait fait. Mis à part le reniement de ses parents. Mais elle le cacha plutôt bien. Serrer les dents, c'était plus dur que de pleurer un bon coup mais elle ne voulait pas se laisser aller et Dawn n'apprécierait pas cet étalage d'émotion. Comment arrivait-elle à fixer cet homme dans lesyeux alors qu'il venait de lui annoncer qu'il fallait qu'ils s'oublient?

- Il le faut vraiment? C'est toi qui parle, avec ton coeur, ou tu dis ça par moralité? Y'a une petite voix qui me dit que tu ne penses qu'à toi... C'est quoi le problème Dawn? ajouta-t-elle doucement.

Maddy n'avait pas employé le ton de la colère, juste de la curiosité, ainsi que la franchise par la même occasion. Elle sentait une longue vague de froid couler dans ses veines et se déverser dans tout son corps. Comme un lac d'eau glacée dont le barrage aurait explosé sous la pression de l'eau. Elle avait déjà la chair de poule rien qu'au fait de penser que Dawn partirait. Qu'il la laisserait en plan, dans ce couloir sale. Seule avec ses larmes, son désarroi, sa cupidité et l'énorme rat qui se promenait. Est-ce qu'il pouvait vraiment faire ça? Etait-il vraiment un homme sans coeur? Mais comment pouvait-il penser une seconde qu'elle le laisserait tomber, en un claquement de doigts? La trouvait-il aussi débile que ça? Immature au point de tout lâcher pour un autre homme ou d'autres horizons plus glorieux? Mais Maddison ne cherchait pas la gloire, la fortune, la chance ou autres imbécilités de ce genre. Elle voulait quelqu'un près d'elle, et pas forcément avec des enfants! Ireland était une gamine plutôt adorable et elle pourrait faire avec, elle n'en demanderait pas plus. Et au moins, elle ne deviendrait pas grosse comme une vache durant neuf mois, et luttant durant plusieurs années pour avoir de nouveau un physique qui lui plaisait, évitant les régimes et autres clubs de sport ridicules. Se reculant contre le mur pour s'y adosser, Maddy restait bouche bée. Reste zen et fais ce qu'il te demande, il a peut-être déjà décidé de t'oublier, de te rayer de sa vie... pensa-t-elle bêtement.

Il savait bien qu'elle était blessée et c'était normal. Il avait fait ce coup-là à tout un tas d'autres nanas avant elle mais ça ne l'avait pas autant touché. Il se posait trop de questions et tant qu'il n'aurait pas trouvé des réponses, il serait incapable de se laisser aller à l'aimer. Il était quelqu'un de simple pour les histoires sans lendemain, sans amour, sans coeur. Il était mille fois plus compliqué quand ce n'était pas le cas. Et c'est pour ça qu'il n'aimait pas être amoureux.

- On est pas fait pour être heureux ensemble. C'est vrai que je pense à moi, ce serait débile de nier une telle évidence. Alors t'as le droit de penser que je suis égoïste et de toute façon, dis-toi que t'as raison. Je suis un égoïste de première classe. Je pense toujours à moi avant de penser aux autres. Regarde le calvaire que j'ai fait subir à mes parents. Ils sont morts l'été dernier et je ne suis jamais rentré les voir en neuf ans.

Il n'était pas sûr d'avoir été très sympa dans ses propos mais il s'efforçait de s'en moquer, ce qui n'était franchement simple. Lui lancer qu'ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre n'avait rien de très agréable, ça voulait en quelques sortes dire qu'elle avait été un coup dans le vent et qu'il était malheureux à ses côtés mais Dawn avait peur de l'avenir. Il en avait tellement peur qu'il ne voulait même pas l'imaginer. Se dire qu'il était noir et sans issue, c'était un peu comme lire une tragédie de Racine. Sauf qu'il pouvait l'éviter. Alors il le faisait. Et ça faisait quand même très mal, même si ça ne les tuait pas.

- C'est vrai que j'ai pas envie de souffrir. Ta petite voix ne ment pas. Mais dis-toi que tu souffriras, toi aussi, si demain je te plaque pour partir à l'aventure. Tu m'as dit que tu me suivrais partout et je te crois. Tu vas me suivre, quelques temps, et tu verras, tu vas vite finir par en avoir marre Quand tu réaliseras qu'on est pas fait pour être ensemble, tu comprendras où je veux en venir. Je passe beaucoup de bon temps avec toi mais si c'est pour que ça se termine mal - pour toi, pour moi... - je préfère en rester là.

Il s'approcha d'elle et lui baisa le front. C'était une marque d'affection dans sa famille. Ca voulait dire pleins de choses : "je t'aime beaucoup", "au revoir", "bonne nuit" aussi mais dans le cas présent, ça n'avait pas énormément d'importance. Il espérait qu'elle ne le prendrait pas mal. Et c'était dur pour lui d'accepter cette vérité, mais il n'avait pas le choix. Pas à ses yeux.

Maddison resta décontenancée face à Dawn. Elle se sentait vraiment conne à rester plantée là, à ne rien dire. Ne réagit pas lorsqu'il lui planta un baiser sur le front. Et préféra riposter doucement, afin de ne pas se brusquer plus qu'il ne le fallait.

- Tu serais prêt à laisser passer ce... brin d'espoir Dawn? Je sais ce que tu penses. Tu crois que je ferai les mêmes erreurs que Camélia, mais toutes les femmes ne sont pas comme ça, loin de là. et pis, de toute façon, ajouta-t-elle en le fixant gentiment, tout le monde souffre un jour où l'autre, qu'importe la raison.

Tout se mélangeait dans son esprit. Tout se complexifiait, ce qui lui devenait insupportable. Pourquoi cherchait-il vraiment cette issue? Qu'avait-elle fait de si grave pour qu'il veuille à tout prix la quitter? Le mot "raison" résonnait encore amèrement dans sa tête, comme par magie. De toute façon, Dawn perdrait, car Maddy avait toutes les raisons du monde rester avec lui. Par intérêt pour Ireland qui aurait besoin d'une présence féminine entre Seth et Dawn. Par goût de l'aventure. Par tout ce qui était innomable et que Maddison aurait voulu hurler. Mais le lui dire aurait été impensable. Dawn la prendrait pour une tarée. Mais elle l'était sûrement. Reprocher à Dawn qu'il était un con de tout gâcher ne les aiderait pas. Ils ne pouvaient pas se quitter comme ça. De cette façon. C'était trop immonde pour eux.

Dawn avait conscience de ses bêtises, en règle générale. Aussi, il faisait ce qu'il pouvait pour les corriger. Mais, là, non, il n'y avait aucune bêtise commise. Il ne faisait pas d'erreur. Il était dans le droit chemin. Il avait le sentiment profond que non, ce n'était pas irréfléchi. Ca ne l'empêchait pas d'être très mal, de se dire que ça faisait souffrir beaucoup de monde mais il savait que c'était la meilleure chose à faire. Il baissa les yeux sur sa clope qui n'était plus qu'un mégot et la jeta à l'autre bout du couloir en se disant qu'en fait, il était sur le point de faire exploser le reste de l'établissement. Il marcha donc jusqu'au mégot et l'écrasa de la pointe de son pied. Puis, il se tourna face à Maddison et répondit enfin :

- Je suis prêt à laisser passer une lueur d'espoir si je sais qu'elle deviendra tôt ou tard un éclat de douleur dans ma vie. Je regrette énormément de choses mais pour l'instant, je n'ai aucun regret pour cette histoire qui vient d'avorter avant d'avoir décollé. C'est moi qui fait tout foiré, j'en suis conscient, et je sais que je n'ai pas trouvé en toi celle qui changera mon monde. Je ne suis pas tout le monde, je ne veux pas souffrir. Pas maintenant. Pas plus tard.

Il savait qu'il était mauvais dans ses paroles. Mais c'était au-dessus de ses forces d'essayer quelque chose qui n'aboutirait pas. Ca ne menait à rien, autant ne rien tenter. Ce n'était pas son genre. En général, il jetait les filles. Les trois seules qu'il n'avait pas quittées, Maddison exclue, ne l'avaient amené qu'à de la souffrance amère et désagréable. Il n'était pas encore assez attaché à Maddison pour ressentir la même affliction. S'il continuait, il s'attacherait et pour rien, parce qu'elle n'était pas faite pour lui. Elle méritait mieux. Il méritait quelqu'un d'autre. Il repris une cigarette et l'alluma en s'écorchant le pouce.

- Je me suis préparé à la mort de mon frère, à la mort de ma fille et même à ta mort, si elle devait survenir subitement. Mais j'suis pas encore prêt à souffrir pour l'amour d'une femme qui n'est pas faite pour moi.

Et lorsqu'il eut terminé sa cigarette, après un instant de silence passionné durant lequel il songea qu'il aimerait que sa mère soit de nouveau là, il finit par lâcher :

- Je suis désolé, Maddison. Nous avons rompus. N'en parlons plus.

Maddison ne réagit pas tout de suite. Elle soupira et évita le regard de Dawn. Elle avait besoin d'avoir quelqu'un à qui se raccrocher et pour le moment, elle n'avait personne. Sa meilleure amie était en France. Sa famille également. La plupart de ses amis aussi. Chez qui irait-elle se bourrer, histoire le noeud de sa gorge se déssere? Qui devrait-elle appeler dans une dizaine de minutes? Et pour raconter quoi? "Salut, ça va? Moi nan, j'avais un copain mais je viens de me faire larguer, tu m'envoies du fric pour que je rentre en France?" Impossible. Nerveusement, elle se tritura les mains, afin de ne pas rester les bras ballants.

- Tu as raison Dawn, excuse-moi, j'aurai pas du insister, c'était pourtant très clair.

Un petit sourire aux lèvres, elle le fixa une dernière fois. Soit, c'était la dernière fois qu'elle le voyait, soit elle devrait le cotoyer tous les jours. Elle ne choisirait pas tout de suite. Pas maintenant. C'était un peu trop tôt et beaucoup trop irréfléchi. Mais là, elle ne savait pas vraiment quoi faire. Peut-être pourrait-il aller boire un verre, histoire de signer une trève? Ou devaient-ils se quitter, pour ne plus se revoir, ni se parler? Maddy ne savait pas comment fonctionnait Dawn. Elle était incapable d'anticiper ses réactions car elle ne le connaissait que trop peu. Et puis, de toute façon, elle l'oublierait vite car leur histoire n'avait pas duré assez longtemps. S'ils étaient restés ensemble durant quelques mois, voire quelques années, elle aurait eu plus du mal à contenir ses larmes. Mais si Dawn voulait prendre ce chemin, Maddison ne pouvait l'en empêcher et devait continuer le sien, même s'il était parsemé de trous et de troncs d'arbres couchés. L'envie d'une cigarette était passée, et elle avait plutôt faim.

- Tu veux que... Enfin t'as peut-être faim...

Maddy avait dit "peut-être" mais savait très bien qu'elle aurait pu dire "sûrement" sans se tromper. Il avait tout le temps faim, Dawn. Mais elle venait peut-être de lui couper l'appétit.

Le mot "faim" éveilla l'appétit en constante croissance de Dawn. Il remarqua que le mot "faim" intervenait au même moment que le mot "fin", même si celui-ci n'était que sous-jacent. Ca lui faisait bizarre d'être seul. Ce genre de choses arrivait rarement. Ce soir, il sortirait un peu et draguerait correctement une petite Japonaise - une qui ne ressemblerait pas à Maddison, fallait qu'il l'oublie, c'était pas le moment.

- J'ai faim, c'est vrai, j'avais oublié.

Il frotta sa cigarette contre un mur pour l'éteindre, étant donné qu'elle n'était pas terminée puis la rangea derrière son oreille en espérant qu'elle ne tombe en chemin. Il détestait ne pas finir une clope parce que le goût était atroce une fois rallumée. Sauf qu'il avait si faim qu'il serait prêt à carrément la bouffer, cette clope. Il avança dans le couloir tellement mal éclairé qu'il songea à péter les lampes pour économiser l'énergie.

- On va pas se faire la gueule pour cette histoire, pas vrai ?

En fait, Dawn n'avait aucune idée de quoi faire après cette rupture. Il avait tellement peu l'habitude des copines durables qu'il se contentait de les oublier toutes et ça marchait dans ce sens pour elles aussi. Les seules petites amies qui avaient compté à ses yeux, il ne les revoyait plus parce qu'il était parti à l'aventure. Bah cette fois, il était obligé de rester ancré au Japon et là, ça l'embêtait parce qu'il n'avait plus aucun moyen de se défiler.

Maddison rangea discrètement ses mains dans ses poches et commença à marcher dans le long couloir mal éclairé. Au lieu de boire, elle mangerait. Comme une grosse. Plus que Dawn, même! C'était toujours mieux que les clopes ou l'alcool. Voire la drogue. Et elle ferait un footing demain pour dépenser les six kilos de cochonneries qu'elle se préparait à avaler. Bien évidemment, elle avait tapé juste en parlant de bouffe avec Dawn, il avait accepté sans réfléchir.

- Se faire la gueule? Pourquoi devrait-on se faire la gueule, Dawn? C'est vrai que, d'habitude, lors d'une rupture, les gens ne se parlent plus, ils s'évitent... Ce genre de truc, quoi! Mais j'ai pas envie de manger toute seule et je suppose que tu as faim, alors autant rester bons amis... Tu crois pas?

Pourquoi posait-elle ce genre de question débile? Peut-être que Dawn voulait juste, lui aussi, ne pas manger tout seul et avoir un peu de compagnie. Maddison pensait que ce n'était pas toujours la joie chez lui. Une enfant et un adolescent à s'occuper, bien que Seth soit sûrement capable de s'assumer à cet âge. Dawn désirait peut-être respirer un peu en arrivant au pensionnat. Ce n'était que es hypothèses car Maddy n'osait poser ce genre de questions. Surtout maintenant qu'ils n'étaient plus ensembles. Tout en marchant lentement, elle faisait son possible pour ne pas toucher le bras de Dawn qui n'était pas très loin du sien. Et puis cette fois, elle pourrait draguer le serveur, voire le cuisinier s'ils allaient à la cafétéria.

» Ils ont faim, les pauvres....